« La déclaration commune signée à Prague par Nikol Pashinyan, Premier ministre arménien, et Ilham Aliyev, président azerbaïdjanais, en 2022, a récemment été interprétée par certains [le pouvoir en place – ndlr] comme une reconnaissance supposée de la part de l’Arménie des droits de l’Azerbaïdjan sur l’Artsakh. La base pour cette interprétation imaginaire est la référence à la déclaration d’Alma-Ata de 1991», explique dans aravot.am Suren Zolyan, député (1990-1995) du Conseil suprême de la République d’Arménie, renommé Assemblée nationale depuis. « L’Arménie n’a pas renoncé à l’indépendance de l’Artsakh par la déclaration d’Alma-Ata », précise-t-il. « Bien au contraire, les fondements de sa reconnaissance internationale ont été posés dans cette déclaration », déclare, selon verelq.am, Suren Zolyan, ancien secrétaire, lors de son mandat, de la commission spéciale pour l’Artsakh au Parlement de la République d’Arménie et co-président du groupe parlementaire de l’Artsakh.
Ainsi, Suren Zolyan explique que selon les dispositions de la législation de l’URSS, un pays ne pouvait pas « tirer son épingle du jeu » et quitter l’Union en obtenant son autonomie sans avoir fait un référendum. « C’est exactement ce sur quoi le président russe Vladimir Poutine insiste aujourd’hui, en parlant de la Crimée, par exemple. Cela vaut également pour l’Azerbaïdjan », écrit-il dans aravot.am.
C’est pour cette raison, a-t-il poursuivi, que la déclaration d’Alma-Ata est un document très général ; elle ne mentionne pas la question des frontières, mais uniquement celle de l’intégrité territoriale. « C’est un texte très flou, sans détails. Personne ne voulait aller plus loin, parce qu’il y aurait eu beaucoup de questions gênantes », a-t-il déclaré.
« La déclaration d’Alma-Ata de 1991 doit être considérée dans le contexte de la situation de l’époque où elle a été adoptée. Il existe un document distinct sur la manière dont cette déclaration doit être commentée, elle a été adoptée en 1992. C’est ce document qui doit être pris comme base pour commenter la déclaration d’Alma-Ata et non le document de Prague, qui a été signé 30 ans plus tard », a-t-il déclaré.
Il a également rappelé que l’Azerbaïdjan, après avoir signé le document, n’a jamais prétendu avoir résolu la question de l’Artsakh de cette manière.
Rappelons que la déclaration d’Alma-Ata a été signée le 21 décembre 1991 dans la capitale du Kazakhstan. Et, le 6 octobre 2022, ce document a été remémoré lorsque, à l’issue d’une réunion à Prague, les dirigeants de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan, de la France et du Conseil de l’Europe ont adopté une déclaration commune qui stipule, entre autres, ce qui suit :
« L’Arménie et l’Azerbaïdjan ont réaffirmé leur engagement envers la Charte des Nations unies et la déclaration d’Alma-Ata de 1991, par lesquelles les deux parties reconnaissent l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’autre. Ils ont confirmé que cela constituerait la base des commissions de délimitation, et que la prochaine session de ces commissions aurait lieu à Bruxelles, L’Arménie a accepté d’encourager une mission civile de l’Union européenne le long de la frontière avec l’Azerbaïdjan », publie mediamax.am.
« Elle prévoit qu’ « un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte » (article 31), ce qui signifie que seules les interprétations qui ont eu lieu à l’époque du traité et non 30 ans plus tard devraient s’appliquer. Remontons donc dans le temps et reconstituons le contexte pertinent. Dans ce cas, cela peut être fait sur la base du document adopté à l’époque par le Soviet suprême de la République d’Arménie, sur la base duquel l’interprétation pertinente a été fixée. C’est ce qu’exige le même article 31.2 de la Convention de Vienne : « Aux fins de l’interprétation du traité, le contexte comprend, outre le texte, y compris le préambule et les annexes : b) tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties comme instrument ayant rapport au traité ».
Rappelons le contexte politique, dit-il. Au début du mois de décembre 1991, les dirigeants de la Russie, de l’Ukraine et de la Biélorussie ont signé un document mettant fin à l’Union des républiques socialistes soviétiques, considéré comme inconstitutionnel – les trois républiques ne pouvaient pas décider pour tous les autres. C’est pourquoi, grâce aux efforts de Nazarbaïev, une réunion des autres (à l’exception de la Géorgie) a été organisée, au cours de laquelle les dirigeants des 11 républiques ont répété la déclaration de Minsk. Ainsi, ce n’est d’ailleurs pas la déclaration d’Alma-Ata qui était soumise à ratification, mais la déclaration de Minsk. Par la suite, l’Azerbaïdjan a retiré la signature du président de l’époque, Aïaz Mutalibov, et Heydar Aliyev a dû signer à nouveau le document dès septembre 1993, ce qui fait l’objet d’un dossier spécial sur le site officiel de la CEI. Par conséquent, à partir de 1991, l’Azerbaïdjan n’était pas partie au traité et n’était pas soumis à ses dispositions. L’adhésion ultérieure de l’Azerbaïdjan ne change rien à la situation ; après tout, selon un autre article 28 de la Convention de Vienne, « les traités n’ont pas de force rétroactive ». La même disposition s’applique au texte du traité lui-même. Par conséquent, toute discussion sur la RSS d’Arménie et la RSS d’Azerbaïdjan et leurs frontières administratives n’a aucun sens – à ce moment-là, il n’y avait pas de telles républiques, mais les États indépendants de la République d’Arménie et de la République d’Azerbaïdjan et l’État indépendant autoproclamé de la République du Haut-Karabagh. Notons que l’Azerbaïdjan s’est séparé de l’URSS de manière illégitime, malgré les résultats positifs du référendum sur le maintien de l’URSS organisé sur son territoire et sans organiser de nouveau référendum.
Entre-temps, la législation de l’URSS (la loi de l’URSS du 3 avril 1990 sur la procédure de résolution des questions liées à la sécession d’une république de l’Union de l’URSS) prévoyait que les républiques puissent organiser un référendum qui ne se fera pas globalement mais au niveau des républiques et régions autonomes et des régions où prédominent les minorités (de sorte que si dans ces régions une majorité s’exprime contre la sécession elles pourront continuer de faire partie de l’URSS). Les autorités de la République autoproclamé du Haut-Karabagh (anciennement oblast) l’ont fait au début de décembre 1991, c’est-à-dire avant le sommet d’Alma-Ata. Ainsi, au moment de la signature de cette déclaration, le Haut-Karabagh ne faisait plus partie de l’Azerbaïdjan, et ne pouvait pas non plus se trouver dans ses frontières administratives, etc. Par conséquent, personne en Azerbaïdjan n’a jamais mentionné cette déclaration, ni à l’époque ni jusqu’en 2022, et le Parlement azerbaïdjanais non seulement n’a pas ratifié cette déclaration, mais l’a également désavouée avant l’arrivée au pouvoir d’Heydar Aliyev.
« Comme on peut le constater, le texte lui-même se réfère exclusivement aux frontières entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, ce qui rend la référence au respect mutuel de l’intégrité territoriale tout à fait logique. Mais qu’est-ce que cela a à voir avec la question de l’Artsakh ? Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de donner des interprétations différentes et d’argumenter avec elles, elles ne reflètent que les fantasmes de leurs auteurs. La Déclaration d’Alma-Ata est un traité international et elle doit être interprétée non pas comme une œuvre poétique – comme chacun le souhaite, mais conformément au droit international, pour lequel il existe un outil spécial : la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 », explique Suren Zolyan.
Le texte de la Déclaration est extrêmement général. Il était supposé que les pays participants apporteraient des amendements appropriés au moment de la ratification, lesquels feraient également partie du traité, conformément à la convention de Vienne. Le Parlement arménien a apporté un certain nombre d’ajouts lors de la ratification de la Déclaration.
Penchons-nous sur celles qui ont un rapport direct avec la question de l’Artsakh. Premièrement, une référence directe au principe d’autodétermination des peuples a été ajoutée. Dans la Déclaration elle-même, il a été mentionné indirectement par référence à des documents de l’ONU et de l’OSCE. Cette addition a été acceptée par tous les participants et incluse dans la Charte de la CEI adoptée ultérieurement, à l’article 3 (respect de la souveraineté des États membres, du droit inaliénable des peuples à l’autodétermination et du droit de contrôler leur propre destin sans interférence extérieure).
L’objectif principal, cependant, était de prouver le droit de la République du Haut-Karabagh à rejoindre la CEI. La déclaration contenait une clause : « La Communauté des États indépendants est ouverte, avec le consentement de tous ses participants, à l’adhésion des États membres de l’ex-URSS et d’autres États partageant les objectifs et les principes de la Communauté ».
Cela a servi de base pour indiquer les circonstances qui garantissent le droit de la République du Haut-Karabagh à devenir un État et donc à la possibilité de devenir un État membre de la CEI. Il a été proposé : « Le deuxième point de l’article 13 du traité, après les mots « est ouvert à tous les États membres de l’Union soviétique », devrait être ajouté : « y compris les anciennes autonomies de l’Union soviétique qui, avant l’adoption de la déclaration sur la dissolution de l’Union soviétique, ont organisé un référendum national et sur la base duquel l’organe exécutif suprême de l’autonomie a demandé l’adhésion à la CEI ».
Suren Zolyan explique quel est l’effet juridique de ces amendements : « Une fois encore, il est fait référence à la Convention de Vienne, où une section spéciale est consacrée au statut des réserves. Il convient de noter qu’une fois la déclaration de Minsk ratifiée, il n’était plus nécessaire de ratifier spécifiquement la convention d’Alma-Ata, qui l’a reproduite, et d’émettre les réserves correspondantes (voir article 31, paragraphe 2a). En ce qui concerne le statut des réserves, elles fournissent tout d’abord le contexte de l’interprétation (encore une fois, l’article 31). En même temps, ils peuvent être considérés comme faisant partie du traité, car aucune objection n’a été soulevée par les autres parties.
Il convient de se référer aux articles pertinents : Article 19. Un État peut, lorsqu’il signe, ratifie, accepte, approuve ou adhère à un traité, formuler une réserve… Article 20. 5 Une réserve est considérée comme acceptée par un État si celui-ci n’y fait pas objection Article 21. 1. Réserve a) modifie pour l’État réservataire, dans ses relations avec cette autre partie, les dispositions du traité sur lequel porte la réserve dans la mesure de la réserve ; et (b) modifie ces dispositions dans la même mesure pour cette autre partie dans ses relations avec l’État réservataire.
Comme l’avait déclaré Levon Ter-Petrossian dans son interview au journal Zerkalo après la signature de la déclaration d’Alma-Ata, la requête des autorités de la République du Haut-Karabagh à Boris Eltsine, alors chef de l’organe suprême de la CEI, a été reçue par ce dernier et devait faire l’objet d’un sujet particulier.
En parlant de la déclaration d’Alma-Ata, il faut également tenir compte de l’autre document signé à Alma-Ata, le protocole du 21 décembre 1991 : Le protocole à l’accord CEI, signé le 8 décembre 1991, apporte des compléments importants à ce qui précède. Premièrement, il précise que ce n’est pas la déclaration d’Alma-Ata elle-même qui est soumise à ratification, mais l’accord de Minsk qui lui a donné naissance. Deuxièmement, elle indique que l’Accord entre en vigueur pour chacune des Hautes Parties Contractantes à la date de sa ratification. Cela élimine complètement la question de la participation de l’Azerbaïdjan et des conséquences qui en découlent. Troisièmement, et c’est le plus important, elle établit davantage le statut juridique des réserves que les États membres formuleront lors de sa ratification : Sur la base de l’Accord sur la création de la CEI et en tenant compte des réserves formulées lors de sa ratification, des documents réglementant la coopération au sein de la CEI seront élaborés. Le présent protocole fait partie intégrante de l’accord sur l’établissement de la CEI.
Comme nous pouvons le constater, les références relatives à l’héritage juridique de l’URSS jouent précisément contre l’Azerbaïdjan et en faveur de l’Artsakh. Il reste à regretter qu’en 1993, les autorités arméniennes n’aient pas exercé leur droit de veto sur l’adhésion de l’Azerbaïdjan à la CEI et n’aient pas conditionné celle-ci à la reconnaissance de la République du Haut-Karabagh. Il y avait une bonne raison à cela : l’Azerbaïdjan ne remplissait pas les conditions légales pour organiser un référendum et prendre en compte les résultats du vote des autonomies et des minorités. On peut également se demander pourquoi Levon Ter-Petrossian s’est limité à la question d’Eltsine et n’a pas fait d’autres efforts pour assurer l’adhésion de la République du Haut-Karabagh à la Communauté des États indépendants », s’interroge Suren Zolyan.
« Les erreurs du passé doivent être corrigées », déclare Suren Zolyan. « La catastrophe humanitaire en cours exige une action immédiate. Après une clarification appropriée, les déclarations d’Alma-Ata et de Prague prennent un sens complètement différent. Ainsi, comme on peut le constater, l’inclusion dans le texte de la Déclaration d’une référence à la Déclaration d’Alma-Ata a permis de mettre à jour non seulement le texte lui-même, mais aussi le contexte politique global et les réserves de la République d’Arménie qui lui sont associées et qui font partie intégrante du traité. Les événements ultérieurs et le blocage de la l’artère vitale entre l’Arménie et l’Artsakh, la création de conditions insupportables pour la population arménienne vivant dans la région et le refus de l’Azerbaïdjan de remplir ses obligations internationales et de prendre en compte les avis de la communauté internationale ont créé une nouvelle situation. Ainsi, les thèses qui prévoient le programme préélectoral du Contrat civique au pouvoir – à savoir la reconnaissance du droit à l’indépendance de l’Artsakh afin d’empêcher le génocide – sont devenues actuelles.
Suren Zolyan nous rappelle ce qui est écrit dans le programme électoral de l’Accord civique, le parti de Pashinyan, celui qui est au pouvoir en Arménie depuis 2018 : « Dans les années à venir, notre tâche principale devrait être d’éradiquer les conséquences de la guerre désastreuse, ainsi que la sécurité du peuple d’Artsakh et un règlement pacifique et global du conflit du Karabagh basé sur l’autodétermination du peuple d’Artsakh sans aucune restriction.[…] Le règlement final du conflit du Karabagh est considéré comme le plein exercice du droit du peuple d’Artsakh à l’autodétermination et la clarification finale du statut de l’Artsakh sur la base du principe de la « sécession pour le salut ». Le principe de la « sécession pour le salut » donne aux gens la possibilité de faire sécession en cas de discrimination, de risque de violations généralisées des droits de l’homme ou de génocide ; il exclut également l’entrée dans un État si celui-ci a les conséquences susmentionnées », (https://www.civilcontract.am/files/2022/08/5301734.pdf).
« Il est difficile d’offrir une justification plus adéquate. Les réalités apparues dans les derniers mois de l’Union soviétique et les dispositions de la Déclaration d’Alma-Ata, ainsi que la situation menaçant l’existence même du peuple d’Artsakh, rendent nécessaire l’engagement du processus de reconnaissance internationale de la République d’Artsakh (ce que le Sénat français a d’ailleurs déjà fait). Pour que ce processus puisse commencer, l’Arménie doit être la première à faire un pas dans cette direction », explique Suren Zolyan.
Source principale : aravot.am