« La France, comme d’autres pays occidentaux, soutient le fameux Premier ministre qui a provoqué la guerre de 2020, qui est responsable de la défaite, qui a nié l’Artsakh et qui a vendu aux enchères les territoires arméniens. Mais notre histoire a montré que lorsque nous ne plaçons pas nos espoirs dans d’autres pays, lorsque nous nous unissons et luttons, nous réussissons », éstime Avetik Ishkhanian, Président du Comité Helsinki de surveillance du respect des droits de l’homme d’Arménie.
-Monsieur Ishkhanyan, vous connaissez certainement les analyses et réactions publiées ces derniers jours dans les sérieux et prestigieux quotidiens français « Le Monde » et « Le Figaro », qui, pour le moins, discréditent le Mouvement de défense nationale “Tavoush pour la patrie”, nouvellement créé, et en particulier la personnalité de Mgr Bagrat Galstanyan qui le dirige. Qu’est-ce qui explique, à votre avis, une telle attitude, peut-être inattendue pour nous ?
Les journaux que vous avez mentionnés reflètent l’attitude de l’élite politique française à l’égard du mouvement. Et malgré le fait que la France soit considérée comme un pays ami de l’Arménie, ces publications montrent que la politique de la France ne diffère pas de la politique de l’Occident collectif, y compris sur la question de l’Arménie. En discréditant le mouvement dirigé par Mgr Bagrat Galstanyan, la France, comme d’autres pays occidentaux, soutient le fameux Premier ministre qui a provoqué la guerre de 2020, qui est responsable de la défaite, qui a nié l’Artsakh et qui a vendu aux enchères les territoires arméniens. En d’autres termes, nous ne devons pas nous faire d’illusions sur le fait que la France est un pays favorable à l’Arménie. Un État ami ne considérerait pas l’Arménie comme un pays démocratique et ne fermerait pas les yeux sur les violations massives des droits de l’homme en Arménie. En tant que membre de l’OTAN, pour les pays alliés, y compris la Turquie, ce n’est pas l’existence de l’Arménie en tant qu’État qui importe à la France, mais la politique anti-russe menée par le Premier ministre. J’imagine que les dirigeants occidentaux, y compris Macron, méprisent et en même temps utilisent le Premier ministre arménien pour résoudre leurs problèmes géopolitiques. Et il est justifié que ce mépris s’étende à l’ensemble du peuple arménien, car nous avons toléré un tel gouvernement depuis 2020.
-Comment interprétez-vous la position du quotidien « Le Figaro », qui cite l’opinion suivante d’un diplomate anonyme ? «Galstanyan est populaire, car il donne aux Arméniens l’illusion qu’un Arménien peut à un moment donné dire stop aux ambitions impérialistes du dictateur Aliev. Sauf que, privée d’un soutien occidental réel, cette attitude est impossible à assumer une fois au pouvoir.»
Tout d’abord, précisons que les ambitions impériales d’Aliyev sont bien accueillies par l’Occident. Tous les pays occidentaux, y compris la France, ont fermé les yeux sur le génocide de l’Artsakh parce que l’Azerbaïdjan est un important fournisseur d’énergie pour eux. Deuxièmement, notre histoire a montré que lorsque nous ne plaçons pas nos espoirs dans d’autres pays, lorsque nous nous unissons et luttons, nous réussissons. Exemples : Sardarapat, la bataille héroïque de la Haute-Arménie (Syunik), la première guerre de l’Artsakh. Dans ce contexte, rappelons également l’accord de complot turco-français de 1921 et le retrait nocturne des troupes françaises de Cilicie. Ainsi, si le mouvement Mgr Bagrat Galstanyan réussit, c’est-à-dire le changement de pouvoir, ce même Occident accueillera l’Arménie et le peuple arménien avec un grand respect, comme un peuple digne.
-Faut-il s’étonner que le célèbre analyste franco-arménien Tigrane Yégavian, souvent cité par la presse et la télévision françaises, discrédite le révérend dans « Le Figaro », en « signalant » que « son mandat a été interrompu en raison de soupçons de malversations financières… », il énonce encore : “Attention aux faux prophètes !” rappelle qu’“il existe un conflit silencieux entre l’Église apostolique arménienne et l’État, qui pourrait être à l’origine des événements qui se déroulent actuellement dans la petite république caucasienne”. D’ailleurs, dans l’article Mgr Bagrat Galstanyan est comparé à un gourou indien, dépréciant ainsi la véritable nature du mouvement aux yeux du lecteur français. Selon vous, que faut-il entendre par une telle position défavorable au mouvement : est-ce une coïncidence ou une intention ?
-Bien que « Le Monde » et « Le Figaro » aient des positions opposées sur le plan de la vie intérieure de la France : libéral et conservateur, en matière de politique étrangère, ils sont tous deux sur la même ligne, c’est-à-dire qu’ils défendent les intérêts de la France. Et Tigrane Yégavian, politologue d’origine franco-arménienne, n’est pas un analyste impartial. Il comprend parfaitement les intérêts géopolitiques de l’Occident et y adapte ses “analyses”. Sinon, il ne serait pas le bienvenu dans les médias que vous avez mentionnés. En citant Tigrane Yégavian, ces médias créent une illusion d’impartialité – regardez l’opinion d’un analyste arménien. Dans les faits, Tigrane Yégavian, en discréditant Mgr Bagrat Galstanyan, répète les mensonges diffusés par les autorités arméniennes. Je voudrais dire à Tigrane Yégavian que les auteurs des abus financiers ne sont pas les opposants, mais les partisans des autorités. Au cours d’une interview accordée à une chaîne de télévision française, le même Tigran Yekavyan avait caractérisé la farce intitulée « Les élections de 2021 en Arménie » de la manière suivante : “Le peuple arménien a choisi la démocratie”, justifiant ainsi la honteuse défaite de 2020. Admettons que Tigrane Yégavian n’était pas au courant de l’utilisation d’énormes ressources administratives pendant les élections, de la persécution politique, du vote dirigé des soldats, croyant que les élections étaient équitables. Dans un tel cas, un analyste impartial, en particulier un Arménien de nationalité, aurait dit : « Le peuple arménien a choisi la défaite ». Des parallèles sont souvent établis entre les Arméniens et les Juifs, compte tenu des génocides et de la répartition des deux peuples dans le monde. On peut parler longtemps des différences entre les deux peuples. Toute personnalité de la diaspora juive est avant tout juive et agit dans l’intérêt de son État, Israël, alors que les personnalités reconnues de la diaspora arménienne sont avant tout citoyennes du pays où elles vivent et agissent dans l’intérêt de leur État, même au détriment de l’Arménie. C’est le cas de Gérard Libaridian aux États-Unis, de Tigrane Yégavian en France et de Karen Shakhnazarov en Russie.
-Monsieur Ishkhanian, vous connaissez également le prestigieux magazine franco-arménien « Nouvelle d’Arménie », dans lequel le même analyste, sous le sous-titre “Une défaite de la pensée”, ajoute, dirons-nous, une observation plus spécifique et fondée, citons : “Il manque à ce jour une feuille de route claire, débattue et réaliste en mesure de redonner confiance à l’initiative de l’archevêque Bagrat Galstanyan. Cette absence de feuille de route est révélatrice de la crise structurelle des élites arméniennes dont les symptômes se déclinent de la manière suivante : incapacité à trouver un dénominateur commun, culte de l’homme providentiel, absence de sens critique, absence de concertation, et d’ouverture au dialogue. Absence de sens de l’État.” Comment répondez-vous à cette critique ?
-Je ne maîtrise pas le français, mais j’ai lu la traduction de l’article. Il m’est donc difficile de dire si Tigrane Yégavian enregistre les qualités particulières du peuple arménien avec douleur ou jubilation. Espérons que dans son analyse des « Nouvelle d’Arménie » à destination du lectorat franco-arménien, Tigrane Yégavian mentionne avec honnêteté les défauts spécifiques du peuple arménien avec lesquels nous pourrons être d’accord. Toutefois, dans un tel cas, Tigrane Yégavian aurait dû faire de l’objet de ses critiques, non pas Mgr Bagrat Galstanyan, mais, selon ses propres termes, le gouvernement démocratique de l’Arménie, le Premier ministre. C’est ce dernier qui non seulement ne présente pas de feuille de route claire, mais qui, terrorisant la population, répond étape par étape aux exigences du président de l’Azerbaïdjan. Le dialogue politique devrait également être initié par les autorités. Or, des personnalités de l’opposition sont inculpées et arrêtées sur instruction dudit Premier ministre.
-Une autre question, M. Ishkhanian. Dans le même article des « Nouvelle d’Arménie », Tigrane Yégavian affirme qu’“à l’heure où le mouvement Tavoush pour la patrie engrange des soutiens croissants, de la part de la société civile et de la classe politique, la diaspora s’interroge à son tour sur la légitimité de ce mouvement.” Monsieur Ishkhanyan, la diaspora arménienne ne vous semble-t-elle en train de s’interroger sur la légitimité de ce mouvement ?
-Tigrane Yégavian le remarque à juste titre. En effet, le nombre de partisans de Mgr Bagrat Galstanyan en Arménie augmente de jour en jour. En ce qui concerne la diaspora arménienne, j’ai une question à adresser à M. Yégavian : “Quelle diaspora ? La diaspora est-elle une structure homogène sous une direction commune ?” J’ai l’impression que Tigrane Yégavian attribue son attitude négative à l’égard du mouvement de Mgr Bagrat Galstanyan à l’ensemble de la diaspora.
Je suis également intéressé par la question suivante : qu’entend Tigrane Yégavian par la légitimité du mouvement ? Et, selon lui, est-ce que la révolution de 2018, faite de mensonges et d’impostures, était légitime ? À mon avis, tout changement légitime ou illégitime du pouvoir en Arménie est non seulement justifié, mais aussi attendu. Chaque jour de ce pouvoir apporte de nouvelles pertes territoriales.
Après la défaite honteuse de 2020, la diaspora arménienne devrait, à mon avis, mettre de côté les contradictions entre les différents partis et organisations et, en ce qui concerne tout déplacement à l’étranger, “accueillir” le symbole de la défaite – le Premier ministre – par des manifestations vigoureuses.
Source principale : yerkir.am