L’Institut Lemkin dénonce les récentes déclarations du Premier ministre arménien, Nikol Pashinyan, qui semble douter de l’ampleur du Génocide arménien, un discours proche du déni turc. Ce révisionnisme menace la souveraineté arménienne, l’intégrité historique et les luttes pour la justice.

Au risque d’être accusé d’appartenir à l’organisation « Dashnak », de recevoir des fonds russes et de diffuser des « fake news » par certains Arméniens, notamment le Zoryan Institute, qui a exigé l’année dernière des excuses après que nous ayons suggéré que le Premier ministre arménien, Nikol Pashinyan, participait à une forme de déni cryptique du Génocide arménien, l’Institut Lemkin pour la Prévention du Génocide et la Sécurité Humaine attire de nouveau l’attention sur les récentes déclarations de Pashinyan concernant le Génocide arménien. Ces déclarations résonnent malheureusement avec les récits de déni turcs. Elles ignorent des décennies de recherches historiques sur le Génocide arménien menées par des historiens turcs, allemands, britanniques, américains et arméniens, entre autres. De plus, elles entravent la lutte en cours pour la justice en faveur des victimes du génocide et créent une dynamique géopolitique dangereuse, surtout dans le contexte du génocide récent des Arméniens d’Artsakh par l’Azerbaïdjan et des menaces continues pesant sur la République d’Arménie.

La semaine dernière, le Premier ministre Pashinyan a rencontré un groupe d’Arméniens de la diaspora en Suisse et, utilisant son langage caractéristique, a semblé douter de la narration historique établie du Génocide arménien de 1915.

Le Premier ministre a déclaré : « Nous devons comprendre ce qui s’est passé et pourquoi cela s’est produit, comment nous l’avons perçu et à travers qui nous l’avons perçu ». Il a ajouté : « Comment se fait-il qu’en 1939 il n’y avait pas de programme de reconnaissance du Génocide arménien et comment se fait-il qu’en 1950 un tel programme ait émergé ? »

Ces propos interviennent environ dix mois après que le Premier ministre eut semblé remettre en cause la narration historique établie du Génocide lors de la commémoration d’avril 2024 et trois mois après que le ministère arménien des Affaires étrangères ait décidé de retirer le Génocide arménien de ses priorités de politique étrangère. Nous considérons ces déclarations et décisions comme la conséquence de la faiblesse diplomatique et militaire de l’Arménie face à ses voisins hostiles du Caucase du Sud. Cependant, nous devons toujours souligner les dangers du déni du génocide et les menaces qu’il fait peser sur l’intégrité de la souveraineté arménienne, même lorsqu’il est poursuivi sous la pression de grandes puissances mondiales et d’hégémons régionaux.

En suggérant que des questions fondamentales sur le Génocide arménien, telles que « ce qui s’est passé et pourquoi cela s’est produit », n’ont pas encore été suffisamment répondues, la déclaration de Pashinyan remet en cause le Génocide arménien en tant que fait historique établi. Mais ces questions ont été au cœur de l’enquête historique sur le Génocide arménien pendant plus d’un siècle. Même Raphael Lemkin, l’homme qui a inventé le terme « génocide » pendant la Seconde Guerre mondiale, a étudié le cas arménien et l’a utilisé comme base pour développer son concept de génocide dans les années 1920 et 1930. Bien qu’il existe des divergences entre historiens sur certains détails et interprétations, la narration de base, les causes et les faits ne sont pas remises en question. De plus, les spécialistes du génocide s’accordent à dire que les crimes de l’Empire ottoman contre les Arméniens pendant la Première Guerre mondiale constituent un cas clair de génocide.

Le Premier ministre semble penser qu’il existe un agenda politique caché derrière les efforts visant à obtenir la reconnaissance formelle du Génocide arménien. Bien qu’il n’ait pas précisé qui sont ces prétendus conspirateurs et ce qu’ils cherchent à obtenir, il a à plusieurs reprises suggéré cette interprétation conspirationniste du passé et du présent. C’est l’une des raisons pour lesquelles ses propos résonnent non seulement en substance, mais aussi en stratégie avec le déni turc.

La Turquie nie que son prédécesseur, l’Empire ottoman, ait commis un génocide contre les Arméniens et autres chrétiens pour de multiples raisons : éviter une responsabilité juridique pouvant entraîner des réparations et des revendications territoriales, soutenir une narration nationaliste dépeignant la Turquie moderne comme un État-nation progressiste, appuyer l’idéologie de la suprématie turque, légitimer des projets impériaux similaires à ceux ayant mené au génocide au début du XXe siècle, et déshumaniser davantage les Arméniens en tant que traîtres et ennemis. Ce dernier point est crucial, car il explique en grande partie le pouvoir psychologique que le déni exerce sur la population en Turquie, un État qui n’a jamais appris à respecter les différences nationales et religieuses, préférant l’usage de discours haineux et de violences contre les minorités. Tant que les Arméniens sont vus comme des traîtres et des ennemis – responsables des « tragédies » infligées à leur propre communauté pendant la Première Guerre mondiale – la population turque n’a pas à affronter son passé criminel et à ajuster son identité nationale en conséquence.

Ainsi, lorsque Pashinyan suggère que l’agenda de reconnaissance du Génocide arménien « émergeait de manière politiquement suspecte après 1950 », il soutient des représentations bigotes des Arméniens, en soulignant leur nature peu fiable et traîtresse. Plutôt que de désamorcer les tensions entre l’Arménie et ses voisins hostiles, un tel langage risque de les encourager à adopter des actions militaires contre les derniers territoires contrôlés par les Arméniens.

Il convient de noter que l’absence de reconnaissance politique généralisée du Génocide arménien en 1939 (une année curieuse pour Pashinyan) peut s’expliquer par de nombreux facteurs, parmi lesquels le fait que le terme « génocide » n’a été inventé qu’en 1943 ! Mais il y a d’autres raisons : l’Europe, la Russie et les États-Unis – les terres où la majorité des survivants du Génocide arménien ont trouvé refuge – étaient absorbés par les événements menant à la Seconde Guerre mondiale ; il n’existait pas à l’époque de cadre global pour comprendre les atrocités ou en exiger la reconnaissance ; il faut généralement plusieurs décennies pour que les communautés survivantes se regroupent et trouvent la force collective de commencer le travail ardu de mémorialisation et de reconnaissance ; enfin, le champ d’études sur le génocide n’a émergé qu’au cours des années 1980.

Le Premier ministre doit se rappeler que l’Empire ottoman a jugé les auteurs du génocide à la fin de la guerre, dont beaucoup ont été reconnus coupables et pendus.

L’absence de reconnaissance formelle du génocide en 1939 n’était pas due à un manque de clarté ou de connaissance de l’événement, mais à l’absence de cadre juridique, conceptuel et institutionnel pour décrire et traiter de telles atrocités. Même Hitler lui-même connaissait l’ampleur de l’horreur du Génocide arménien, le comparant à ses projets d’expansion à l’Est.

L’Institut Lemkin reste ferme dans son soutien à la lutte des Arméniens, tant en Arménie que dans la diaspora, pour la reconnaissance du Génocide arménien par la Turquie et le reste du monde, indépendamment de la position officielle du gouvernement arménien. Nous comprenons que cette lutte ne se limite pas à la reconnaissance d’une atrocité passée, mais qu’elle vise également la justice pour les victimes et leurs descendants, ainsi que la prévention de la répétition de ces atrocités à l’encontre des Arméniens dans le futur.

Nous espérons que le Premier ministre arménien clarifiera ses déclarations sur le génocide et s’efforcera d’éviter toute familiarité future avec les dénégations du Génocide arménien.

Source principale : lemkininstitute.com