Le samedi 13 septembre, l’école Hamaskaïne de Marseille a accueilli la deuxième édition des Universités d’été de la Cause arménienne, organisées par le Comité de Défense de la Cause Arménienne (CDCA) avec comme objectif de préparer une feuille de route, d’établir des actions qui vont nous permettre de mener le combat pour la Cause arménienne d’une façon beaucoup plus efficace et pour l’intérêt de l’Arménie, pour l’intérêt de l’Artsakh, pour la reconnaissance et la pénalisation du génocide des Arméniens. L’événement a rassemblé élus, militants, chercheurs et citoyens pour une journée entière de réflexions autour de thèmes centraux : l’identité, la double appartenance, le rapport à l’Arménie et les enjeux géopolitiques actuels. Comment défendre la mémoire et les droits du peuple arménien dans un contexte international indifférent, quand la stratégie d’Erevan suscite perplexité et critiques ? Quatre débats pour cerner les dilemmes de la Diaspora arménienne.
Première table ronde : Défendre la cause arménienne en étant citoyen français enjeux et défis
La première table ronde, animée par Azad Balalas Kazandjian, Aurore Bruna (coprésidents du CCAF Sud) et Jules Boyadjian, ancien président du CDCA, a interrogé l’équilibre entre loyauté républicaine et mémoire arménienne. Les présents ont défendu l’idée d’un engagement pleinement républicain, sans renoncer à la Cause. « Comment transformer cette tension en force politique constructive ? », a interrogé Aurore Bruna, rappelant la nécessité pour les citoyens français d’origine arménienne d’inscrire leur engagement dans le cadre républicain, tout en refusant l’effacement de leur mémoire collective. Un équilibre que les participants décrivent comme fragile, mais indispensable à la légitimité de leur action.
La diaspora, actrice à part entière
Julien (Diko) Harounyan, coprésident du CCAF Sud, a souligné la nécessité d’« un dialogue sans tabou avec l’Arménie », afin de renforcer la cohésion de la diaspora et de préparer « les défis de demain » : la paix incertaine, la sécurité des frontières et le sort toujours en suspens des prisonniers arméniens détenus à Bakou.
Deuxième table ronde : Peut-on défendre la cause arménienne en étant opposés à la politique menée par le gouvernement arménien ?
La deuxième table ronde, réunissant Hovsep Der Kevorkian, Sarah Tanzilli et Julien (Diko) Harounyan, a souligné la nécessité de dissocier la Cause arménienne des politiques d’un gouvernement arménien jugé défaillant.
Pour Hovsep Der Kevorkian, membre du Bureau mondial de la Fédération révolutionnaire arménienne (FRA), la réponse ne souffre pas d’ambiguïté : « Oui, c’est possible. Et plus encore – c’est indispensable. La Cause arménienne et la défense des droits historiques du peuple arménien ne dépendent d’aucun gouvernement. »
Un constat partagé par Sarah Tanzilli, ancienne députée, pour qui il n’y a pas de contradiction à demander à la France et à l’Union européenne de soutenir l’État arménien tout en dénonçant les choix du gouvernement actuel. La question de la libération des prisonniers, du retrait des troupes azerbaïdjanaises du territoire arménien et du droit au retour des déplacés du Haut-Karabagh reste au cœur de ces préoccupations.
Des débats au croisement de la mémoire et de la citoyenneté
Troisième table ronde : Histoire et mémoire de la diaspora arménienne en France
La troisième table ronde, avec Astrid Artin Loussikian (Association ARAM), Sacha Vaytet Cazarian (Haïastan Média), a alerté sur le risque de dilution identitaire. Les intervenants plaident pour une transmission modernisée : médias numériques, contenus bilingues et outils pédagogiques adaptés. Tous ont insisté sur l’urgence de renouveler les formes de transmission auprès des jeunes générations.
Dans un contexte où l’assimilation et la dispersion menacent de diluer l’identité arménienne, la transmission ne se réduit plus aux commémorations traditionnelles : elle doit s’adapter aux codes contemporains, intégrer les outils numériques et associer les acteurs éducatifs et culturels.
Quatrième table ronde : Arménie-Azerbaïdjan : une paix est-elle vraiment possible ?
Enfin, la dernière séquence a réuni l’avocat Philippe Raffi Kalfayan, la présidente du CDCA Anahit Akopian et le dissident azerbaïdjanais Mahammad Mirzali. Son témoignage, marqué par la répression du régime Aliyev, a rappelé que dialogue et vigilance doivent aller de pair.
Soixante ans de combats, et des défis persistants
En clôture, plusieurs intervenants ont rappelé le chemin parcouru. Les combats du passé, reconnaissance du Génocide, justice et réparation, restent d’actualité. « Aujourd’hui, plus que jamais, l’Arménie est menacée de disparition », rappelle Anahit Akopian. Pour la présidente du CDCA, ces universités doivent déboucher sur « une feuille de route » concrète, transformant les débats en actions.
Quant à Philippe Raffi Kalfayan, il a salué cette « initiative essentielle pour transmettre aux nouvelles générations une autre image de ce que c’est que la pensée arménienne, c’est-à-dire qu’ils viennent écouter des personnes s’exprimer de différents horizons, avec différentes expériences, avec des expériences qui ne sont pas forcément limitées à la communauté, donc des personnes qui ont occupés des fonctions à l’extérieur et qui viennent parler de la Ccause arménienne. Et je crois que c’est important pour des jeunes qui sont engagés dans la Cause arménienne d’entendre ce qui est dit, pour éviter d’avoir une vision trop étriquée de la Cause arménienne».
Hovsep Der Kevorkian va plus loin et pose la question de fond : la diaspora peut-elle militer pour la Cause arménienne contre la politique menée par le gouvernement arménien ? Sa réponse ne souffre d’aucune ambiguïté : « Oui, c’est possible. Et plus encore – c’est indispensable. »
La Cause arménienne, une lutte qui dépasse l’État
Pour Hovsep Der Kevorkian, qui depuis le début de cette année est également le responsable au sein du Bureau mondial de la FRA du réseau des comités et bureaux de la Cause arménienne, tels que la ANCA aux Etats-Unis ou bien la EFAJD à Bruxelles : « aujourd’hui, alors que le gouvernement arménien continue d’abandonner l’Artsakh, la mémoire du génocide et la souveraineté nationale — les comités et bureaux de la Cause arménienne, organisés en un réseau mondial, tiennent fermement la ligne de front politique, diplomatique et médiatique. Face à ce renoncement, il est impératif de rappeler les axes politiques selon lesquels la diaspora et notamment les comités de la Cause arménienne mènent leurs actions. »
Il souligne que le soutien des comités et bureaux de la Cause arménienne à la république d’Arménie, premièrement, se traduit par :
- La promotion d’une paix véritable dans le Caucase du Sud – fondée sur la justice et le droit, et non sur la force et les actes génocidaires
- La défense de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Arménie, accompagnée d’une sensibilisation du peuple arménien et des instances internationales aux risques liés au « corridor de Syunik »
- L’exigence du retrait des forces d’occupation azerbaïdjanaises du territoire de l’Arménie
Dans ce contexte, notre mission principale est d’alerter la communauté internationale sur les risques d’invasion et de guerre que l’Azerbaïdjan pourrait déclencher contre l’Arménie. À ce titre, nous rappelons l’importance de l’Article 907 de la Loi américaine de 1992 sur le soutien à la liberté (Section 907 of the 1992 United States Freedom Support Act) — Une mesure que Nikol Pachinian a malheureusement accepté de voir levée pour une année, en accord avec Ilham Aliyev, sous l’administration Trump.
On entend souvent dire que le peuple arménien est abandonné par ses alliés. Si cette affirmation mérite un débat sérieux, il est tout aussi essentiel de souligner la part de responsabilité du gouvernement arménien dans cette situation. Dans un contexte géopolitique extrêmement tendu, il serait non seulement judicieux, mais stratégique, que l’État arménien profite du réseau des comités de la Cause arménienne (CDCA) comme levier diplomatique parallèle. Or, aujourd’hui ce réseau n’est pas considéré par le gouvernement arménien comme une force complémentaire pour défendre les intérêts du peuple arménien sur la scène internationale.
Cela dit, il demeure difficile de soutenir un état qui semble avoir renoncé à défendre ses propres intérêts. À titre d’exemple, alors que les comités de la Cause arménienne (CDCA) soulèvent de manière constante la nécessité du retrait des forces azerbaïdjanaises des territoires arméniens occupés, le gouvernement arménien reste silencieux sur cette question cruciale — une posture qui s’apparente à une forme de trahison des intérêts nationaux.
Au niveau de l’Artsakh, nos priorités sont :
- L’obtention de la libération des prisonniers arméniens détenus en otage à Bakou
- L’internationalisation de la question de l’Artsakh, avec création et promotion de plateformes pour la défense des droits des Arméniens d’Artsakh
- La protection du droit au retour des Arméniens d’Artsakh sur leur terre natale, dans des conditions de dignité et sous garantie internationale
- La protection du patrimoine culturel de l’Artsakh
- La protection des droits des réfugiés de l’Artsakh
- Le maintien du fonctionnement des institutions de l’Artsakh
- L’application de sanctions internationales contre l’Azerbaïdjan
Dans ce cadre, les réseaux des comités de la Cause arménienne (CDCA) sont fortement mobilisés pour obtenir le retour des otages arméniens détenus à Bakou, mais, malheureusement, le gouvernement arménien reste systématiquement sourd à ces démarches, refusant d’appuyer ou de faciliter ces initiatives diplomatiques pourtant cruciales.
Par ailleurs, nous collaborons avec d’autres ONG afin d’activer les mécanismes de Moscou de l’OSCE, dans le but de mandater une mission d’experts indépendants chargés d’enquêter sur les violations graves des droits de l’homme dont sont victimes nos otages détenus à Bakou.
Notre action principale concernant l’Artsakh consiste à soutenir le peuple d’Artsakh dans sa revendication du droit au retour, notamment à travers la Swiss Peace Initiative. Cette initiative portée par un comité parlementaire suisse multipartite adopté par les deux chambres du parlement suisse vise à organiser des négociations entre l’Azerbaïdjan et les représentants de l’Artsakh, afin de garantir ce droit fondamental. Nous promouvons activement cette démarche auprès des cercles politiques en France, aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni, en l’Allemagne et dans d’autres pays.
L’action des CDCAs en Europe, et plus particulièrement celle du bureau de Bruxelles en faveur de l’Artsakh, est si importantes qu’elle est reconnue jusque par nos ennemis. Le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev lui-même, lors d’une rencontre avec la délégation du Parlement européen conduite par David McAllister le 19 juillet 2022, a déclaré : « En réalité, le Parlement européen est plus agressif envers l’Azerbaïdjan que le Parlement arménien. Parfois, on a l’impression que certains groupes de lobbying arménien (il voulait dire la FEAJD) exercent forte influence sur le parlement européen ».
Concernant le génocide, nos priorités sont connues dans le monde entier :
- C’est la restauration de la justice historique et la reconnaissance du génocide arménien, ainsi que la lutte contre le négationnisme turco-azerbaïdjanais
- Et évidement la question des réparations
L’action des CDCAs dans ce domaine est incontestable : nul besoin de revenir sur plus de cent ans d’engagement et de réalisations que Nikol Pachinian semble vouloir effacer. Son gouvernement adopte une posture ambiguë voir négationniste vis-à-vis du génocide arménien. Ainsi durant ces derniers mois, Pachinian a déclaré que la reconnaissance internationale du génocide « n’a rien apporté à l’Arménie ». Lors d’une rencontre à Zurich, il a même suggéré qu’il fallait « comprendre pourquoi le génocide a eu lieu », insinuant une relecture relativiste de l’histoire. Cette attitude dévalorise les efforts diplomatiques de la diaspora et affaiblit la position de l’Arménie, tout en alimentant les stratégies négationnistes de la Turquie et de l’Azerbaïdjan.
Pachinian se trompe : la paix ne viendra ni par le renoncement à notre mémoire, ni par la capitulation sur tous les fronts. Comme l’a dit Churchill à Chamberlain en 1938, face à l’apaisement envers Hitler : « Vous aviez à choisir entre la guerre et le déshonneur ; vous avez choisi le déshonneur, et vous aurez la guerre. » Ce rappel historique vaut aujourd’hui pour ceux qui pensent qu’on peut négocier la paix en sacrifiant nos droits, la vérité et notre dignité.
En matière de mobilisation de la diaspora, nous travaillons pour :
- La défense des droits des communautés arméniennes de la diaspora et le renforcement de leur organisation politique, je donnerai comme exemple la défense du quartier arménien de Jérusalem
- En matière de jeunesse, la mise en œuvre de programmes éducatifs vise à les sensibiliser politiquement et à les mobiliser de manière continue. Par le biais de programmes comme le Leo Sarkisian Internship, le Programme Passerelle Capitale (Capital Gateway program) de l’ANCA ou les Ateliers de leadership de l’EAFJD (EAFJD Leadership Workshop) forment de jeunes leaders engagés dans les domaines du droit, de la diplomatie et des médias.
Là encore, au lieu de soutenir la diaspora arménienne — qui représente plus des deux tiers du peuple arménien à l’échelle mondiale — le gouvernement de Nikol Pachinian adopte une posture de distanciation, voire de fragmentation, à son égard. Il est clair que cette stratégie volontaire comporte des risques majeurs pour l’avenir du peuple arménien dans son ensemble.
Mais pourquoi la diaspora devrait-elle défendre la Cause arménienne alors que l’État tente de l’enterrer ?
- Premièrement, car la mémoire et les droits du peuple arménien ne sont pas des monnaies d’échanges.
- Deuxièmement, car la diaspora est libre dans ses actions. Contrairement au gouvernement arménien, la diaspora est indépendante dans la définition et la mise en œuvre de ses priorités politiques. Le réseau de la Cause arménienne n’a jamais conditionné ses objectifs aux positions de quelque gouvernement que ce soit, y compris ceux de l’Arménie.
- Troisièmement, car la Cause arménienne est une boussole de valeurs pour le peuple arménien. Fondée sur des principes universels – justice, mémoire, dignité – elle échappe aux calculs et pressions politiques.
- Quatrièmement, car la Cause arménienne aide aussi la diaspora à préserver son identité. En défendant la mémoire du génocide, les droits du peuple arménien et les principes de justice, elle entretient une mémoire collective vivante, transmise de génération en génération. Cette mémoire partagée constitue le ciment de l’unité nationale, au-delà des frontières et des différences locales. Elle permet à la diaspora de rester connectée à son histoire, à ses valeurs et à sa mission, malgré l’éloignement géographique ou les contextes politiques changeants.
Le réseau des CDCAs, comme mouvement organisé, a plus de quatre-vingts ans, et plus de soixante ans en France.
Son affirmation s’est faite alors même que l’Arménie n’était pas indépendante. Aujourd’hui, les obstacles temporaires ne doivent pas nous détourner de nos objectifs.
Pendant 70 ans de régime soviétique, l’Arménie officielle était réduite au silence. Pourtant, la Cause arménienne a survécu et même prospéré grâce à la dynamique de la diaspora
Aujourd’hui encore, malgré les conditions défavorables créées par le gouvernement actuel, le travail des comités et bureaux de la Cause arménienne continue de faire progresser, à petits pas, notre cause. Toutefois, nous sommes pleinement conscients qu’il est extrêmement difficile d’obtenir des résultats significatifs sans le soutien actif du gouvernement arménien.
Pour conclure à la question initiale : « Est-ce que la diaspora doit militer pour la Cause arménienne en étant opposé à la politique menée par le gouvernement arménien ? »
Oui, nous pouvons défendre la Cause arménienne sans l’appui de l’État – comme nous l’avons déjà fait par le passé. Mais cela exige :
- Une diaspora active
- Une stratégie politique, culturelle, médiatique et juridique
La Cause arménienne ne mourra pas d’un renoncement politique. Elle vivra de notre engagement. Et cet engagement, nous le portons ici – ensemble, avec force et conviction.
Mais nous devons aussi poursuivre la lutte pour qu’en Arménie, le pouvoir change, et qu’un gouvernement arménien se dresse enfin derrière la Cause arménienne car nous croyons profondément que la défense de la cause arménienne est aussi vitale pour l’état arménien. Il s’agit là d’un autre enjeu, profondément stratégique et incontournable. »
Hovsep Der Kevorkian, membre du Bureau mondial de la Fédération révolutionnaire arménienne (FRA)



Source principale : arfd.am