Hovsep Der Kevorkian, membre du Bureau mondial de la Fédération révolutionnaire arménienne (FRA Dachnaktsoutioun), était l’un des invités de l’émission « Cartes sur table » sur la radio parisienne « Ayp FM », qui traite des événements qui se déroulent en Arménie et des nouvelles attaques contre l’Église apostolique arménienne par le Premier ministre Nikol Pashinyan et l’Azerbaïdjan utilisant les leviers de l’État.
Une campagne qui a débuté en 2018 dès que Nikol Pashinyan est devenu Premier ministre
Selon Hovsep Der Kevorkian, cette campagne contre l’Église ne relève pas du hasard, ni d’une série d’incidents isolés. Le slogan de cette campagne n’est pas nouvelle. Cette campagne a débuté en 2018, lorsque Nikol Pashinyan est arrivé au pouvoir, si vous vous souvenez, du slogan – ‘Nouvelle Arménie, nouveau patriarche’ n’était pas une simple phrase lancée dans l’euphorie de 2018, c’était un programme.
« Avec ce slogan, il a tenté de déstabiliser et d’affaiblir l’Église de diverses manières, mais sans succès. Pourquoi ? Tout d’abord, nous devons dire qu’il s’agit d’une véritable tragédie, étant donné que nous vivons aujourd’hui les jours les plus graves pour la Patrie et pour le Syunik, les plus importants aussi», affirme-t-il. Et de préciser : « Nous savons ce qui se passe en Iran, nous savons quel impact tout cela peut avoir sur Syunik, et ce n’est pas surprenant parce que nous avons appris qu’il y a quelques semaines, il y a quelques jours, les États-Unis d’Amérique avaient donné les termes d’un ultimatum à l’Iran et que cet ultimatum avait pris fin. Alors que nous, la semaine dernière, au lieu de nous unir et de faire face à ces dangers, nous – l’Arménie en tant qu’État, en tant que nation – avons attendu chaque jour à 8h30 du matin pour voir quelle folie, quel post vulgaire notre Premier ministre écrirait. Par conséquent, l’objectif est clair, l’objectif est très clair. »
Le dirigeant politique parle d’un processus organisé : Pashinyan a d’abord tenté de discréditer la hiérarchie ecclésiastique en l’associant systématiquement à l’ancien régime. Ce n’est pas une coïncidence. C’est une stratégie.
L’Église ciblée de l’intérieur comme de l’extérieur
Plus encore, Hovsep Der Kevorkian évoque une convergence troublante d’attaques venues à la fois d’Azerbaïdjan et d’Arménie. Le cheikh Pashazadeh, autorité religieuse de Bakou, s’est permis d’invectiver directement Sa Sainteté Karékine II. Et presque en même temps, Anna Hakobyan, épouse du Premier ministre, critiquait le Catholicos dans la presse. C’est une orchestration.
Il poursuit :
« Mais on peut aller encore plus loin, parce que Nikol Pashinyan veut changer la mentalité, la nature des Arméniens, les valeurs des Arméniens. Pour lui, il n’y a rien de sacré, il n’y a pas de valeurs nationales. Nikol Pashinyan veut couper l’Église et les Arméniens de leur passé, il veut les transformer en structures et en personnes obéissantes, soumises, il veut nous préparer en facilitant ce programme de turquification, et ainsi, nous n’aurons plus aucune opposition, rien, nous ne nous opposerons plus à ce programme. »
Le ton se fait plus grave encore :
« Ces tentatives, je dois le dire, aussi, elles se sont produites tout au long de l’année en cours, elle s’est produite aussi tout au long de notre histoire, même à partir de Vardanants. En leur temps, les autorités tsaristes aussi. »
Le constat est encore plus accablant : Ce n’est pas une idée arménienne. C’est un programme de destruction culturelle importé de l’étranger. C’est un concept turc mis en œuvre par des Arméniens.
« Certainement ce n’est pas un projet arménien ! Ce projet, et je pense que nous sommes tous d’accord avec ceci, que n’est pas un projet arménien. Ce projet est un projet turc, c’est un projet étranger, mais il est actuellement mené par des Arméniens. Ceci est inacceptable pour nous tous, et ce processus doit prendre fin. Nous devons nous ressaisir, prendre les choses très au sérieux et nous concentrer sur nos vrais problèmes actuels, et non sur des problèmes secondaires, tertiaires, puisque l’existence de la Patrie est aujourd’hui en danger. »
Une dénationalisation programmée
Dans l’analyse de Der Kevorkian, la marginalisation de l’Église s’inscrit dans un plan plus vaste de « dénationalisation » de l’Arménie. Il déclare :
« Ils veulent créer une Arménie sans mémoire, sans transcendance, sans colonne vertébrale. Leur projet est de faire de notre peuple une masse désidéologisée, privée de ses repères spirituels et historiques, pour mieux l’adapter à un nouvel ordre régional. »
Il fustige une volonté de « désarmer le peuple non seulement militairement, mais aussi spirituellement, culturellement, moralement ». L’Église, dans cette lecture, incarne encore une force de résistance. « Voilà pourquoi elle gêne. Voilà pourquoi ils la ciblent. »
Une Arménie vulnérable sur tous les fronts
Au-delà du front intérieur, le dirigeant de la FRA exprime une vive inquiétude géopolitique. « Regardons la carte : Israël construit une base à Berdzor. Le Syunik est menacé. Si l’Iran faiblit, l’Arménie devient une proie ouverte. Et pourtant, aucune réunion du Conseil de sécurité arménien n’est convoquée. Le gouvernement regarde ailleurs. »
Il s’inquiète d’un scénario de guerre élargi : « Si l’Iran entre en conflit avec Israël, et que l’alliance turco-azérie saisit cette opportunité pour attaquer, qui défendra l’Arménie ? Notre armée a été démantelée. Nos alliances sont floues. Et pendant ce temps, le gouvernement nous explique qu’il faut renoncer à nos droits historiques pour avoir la paix. C’est une reddition. »
Une mobilisation autour du Catholicos
Face à cette situation, la FRA Dachnaktsoutioun a clairement pris position :
« La Fédération révolutionnaire arménienne Dachnaktsoutioun ne peut pas garder le silence, et nous devons d’abord clarifier ce point. Puisqu’aujourd’hui, nombreux sont ceux qui tenteront de se cacher derrière leurs propres doigts et ne souhaitent pas exprimer une position claire. La FRA Dachnaktsoutioun, avec sa famille, avec ses structures, ne peut accepter de telles tentatives, de telles attaques. Et cela à travers l’histoire, comme je l’ai dit il y a un instant, comme à l’époque des autorités tsaristes quand les autorités tsaristes tentaient de saisir les biens de l’Église arménienne, la FRA Dachnaktsoutioun, avec la direction de la FRA Dachnaktsoutioun, même au plus haut niveau, Rostom y compris, avec toute son organisation, sa structure, donc, avec toute sa capacité, la FRA Dachnaktsoutioun a œuvré pour que ce plan soit déjoué. Et cela a échoué. Je peux même dire que dans l’histoire, à l’ère soviétique aussi, dans les années 1920 lorsqu’une campagne a été lancée contre l’Église arménienne, on a dit que l’Église était sous influence, alors qu’il n’y en avait pas vraiment. Donc, Dachnaktsoutioun, L’Église arménienne, en général, l’Église nationale arménienne, je voudrais souligner,spontanément, automatiquement est précieuse pour le Dachnaktsoutioun, cette Église, l’Église nationale, et nous avons donc clairement exprimé notre position. Nous avons exprimé, en mettant l’accent, au début de mon premier discours, sur les valeurs de cette identité, mais ces interventions de la part de l’État ne sont pas acceptables. »
Il évoque un retour émouvant du Catholicos d’une visite aux Émirats arabes unis :
« Ainsi, dans ce cadre, aussi, et je dois dire que notre déclaration à elle seule n’était pas suffisante, bien sûr, d’autres mesures ont également été prises, de sorte que notre partenariat est clairement exprimé à l’Église et au Catholicos, et comme vous le savez, également lorsque le Catholicos est revenu en Arménie de sa visite aux Émirats arabes unis a également reçu un accueil public, et que l’accueil public a prouvé que, malgré les propos de Nikol Pashinyan, non, nous avons toujours cette masse saine, prête à se battre, à résister et à prouver clairement par ses paroles et sa position que l’Église arménienne n’est pas seule, et que les actions et déclarations de Nikol Pashinyan sont inacceptables. »
« Un État sans projet national est un État condamné »
Dans sa conclusion, Hovsep Der Kevorkian plaide pour un recentrage autour d’un projet national fort :
« Il nous faut un État structuré. Une armée nationale, une diplomatie souveraine, une économie indépendante. Mais tout cela ne peut exister que s’il y a une idée derrière. Une idée d’Arménie. »
Il dénonce le défaitisme ambiant :
« On nous dit : abandonnez le Karabagh, oubliez le génocide, renoncez à l’Église, et vous vivrez en paix. Mais ce n’est pas la paix. C’est le néant. »
Et de conclure par une formule qui résonne comme un avertissement :
« Un peuple qui renonce à sa mémoire et à sa foi n’a pas d’avenir. L’Histoire ne pardonne pas ceux qui veulent être tranquilles au lieu d’être debout. »
L’entretien de Hovsep Der Kevorkian éclaire les fractures profondes qui traversent la société arménienne. À travers la figure de l’Église, c’est tout un pan de l’identité nationale qui se trouve remis en question. Dans un pays encore meurtri par la guerre de 2020, la tentation de la rupture avec le passé est grande. Mais pour certains, cette rupture pourrait s’avérer fatale.
Loin d’être une simple querelle cléricale, le débat autour de l’Église renvoie aux interrogations les plus essentielles : que signifie être arménien aujourd’hui ? Peut-on reconstruire l’État sans ses fondements spirituels et historiques ? Et jusqu’où aller dans les concessions sans se dissoudre soi-même ?
Source principale : aypfm.com